La parole aliénante.

Publié le par Miteny

Comment chacun se représente le monde ? En fonction de ses influences, de son éducation, de son caractère. Car il faut une représentation. Celle-ci vient naturellement. Les pensées se révèlent en grande partie par la parole, le discours. Comme il n’est pas possible pour un être humain vivant de ne pas penser, il ne lui est pas possible de ne pas avoir de « représentation du monde ». Cette dernière peut être floue, mais elle existe. Elle conditionne la façon dont nous définissons notre identité : Combien de chances ai-je d’être maoïste si je nais dans une famille pauvre et rurale de la Chine des années 40 ? Certainement plus que si je nais aux USA dans les années 80. Combien de chances ai-je d’être musulman intégriste si je nais dans la province Poshtou de l’Afghanistan durant ces mêmes années 80 ? Certainement plus que si je suis le fils de Georges Bush.

Alors, comprenez vous ce que je veux dire par « l’environnement conditionne notre représentation du monde » ?

Prenons un bébé, quelconque. Son caractère sera très différent, suivant l’éducation qu’on lui aura donnée. J’ai souvent été frappé de voir à quel point les enfants adoptés pouvaient ressembler à leurs parents adoptifs. Ils ont été façonnés par eux. Pour peu que l’enfant ressemble physiquement à ceux qui l’ont accueilli et que ces derniers ne lui disent pas la vérité, il pourra passer sa vie à vivre selon le même conditionnement (celui de sa famille) sans jamais être influencé par sa région ou sa famille d’origine. Il pourra être catholique intégriste, babacool, braqueur de banque… Cela ne dépendra que de son « conditionnement » (en l’occurrence le hasard de l’adoption), c'est-à-dire quelque chose qu’il n’aura a priori pas choisi. Ces propos sont bien sûr à nuancer. Ce n’est pas exactement vrai. Mais néanmoins, c’est en grande partie ce qui arrive. Où est alors la liberté de l’individu dans ce cas là ?

Alors, est-il possible de se défaire de cette influence ? Ne serait-ce pas ça la liberté : essayer de comprendre dans quelle mesure nos opinions ou nos comportements ne sont pas simplement des produits de notre éducation (ou d’autres affects encore moins nobles) ? Spinoza a beaucoup écrit à ce propos. Selon lui, la recherche de la sagesse consistait précisément à tenter d’acquérir la vraie liberté.

Il ne faut pas définir sa personne selon un discours aliéné. La représentation que l’on a du monde n’est pas « la bonne » a priori. Prétendre que la vérité se trouve de façon définitive dans le petit livre rouge, la Bible ou le Coran est forcément faux. Lié son identité à celui d’une nation ou d’une région n’est pas non plus très malin (cf « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part » de Brassens).

L’opposition entre les différentes façons de voir les choses est la plus puissante source de guerres, d’injustices, de massacres. Lisez le récit du génocide juif ou arménien. L’horreur de ces tueries est indescriptible. Si l’homme en arrive à ces extrémités, c’est parce que sa volonté d’absolu est entièrement dirigée vers un objectif qui ne peut contenir l’absolu.

Il est prêt à renoncer à tout ce qui fait de lui un homme pour défendre des idées (que ce soit le communisme, l’intégrisme, un nationalisme quelconque…) qu’il place au dessus de tout. Il les considère comme parfaites, c'est-à-dire éternelles. Mais elles ne le sont pas. Souvent désemparé, ayant la volonté de trouver l’absolu mais ne le voyant nulle part dans la nature, l’homme se fabrique une perfection. Il se trompe. Surtout quand il ne cherche pas plus loin que le bout de son conditionnement, toujours plus ou moins aléatoire (c'est-à-dire non maîtrisé). Des idées ridicules (surtout quelques années après) sont présentées comme étant LA solution. Les masses sont manipulées par des beaux parleurs aux motivations inavouables.

Si je suis français c’est aléatoire. Si mes parents étaient communistes, catholiques ou musulmans, ce serait également aléatoire (la plupart du temps, on ne peut pas le nier). Mais par contre, le fait d’avoir conscience de soi ne l’est pas. Si je dois chercher mon identité, c’est ce chemin que je dois suivre. Pourquoi ai-je conscience de moi ? Comme disait Descartes, le monde actuel est peut-être entièrement fictif, manipulé par des démons qui me trompent sur la vraie réalité du monde sensible. Mais quoi qu’il arrive, on ne pourra jamais me faire douter que je pense. Car pour douter, j’ai besoin de pouvoir penser.

Et c’est à l’intérieur de cette Pensée dans laquelle je baigne jour et nuit, dans laquelle des idées vont et viennent, traversent mon esprit, que se trouve l’idée de la perfection, de l’infini, de l’éternité. Comment ne pas comprendre que l’infini n’est pas physique, n’est pas dans la nature ?

Nous sommes des consciences. Et l’origine de cette conscience ne peut pas se trouver dans la matière (voir le petit paragraphe sur l’esprit). La matière en elle-même n’est rien. Elle n’existe que parce qu’on la conceptualise (cela ne veut bien sûr pas dire qu’elle est en notre pouvoir).

Quand le scientiste dans son petit labo se met au dessus du monde, au dessus de l’univers et affirme : «  les atomes en s’entrechoquant créent la conscience et arrivent à se penser eux-mêmes… fascinant !! », il considère qu’une seule condition est nécessaire : que les atomes soient rangés dans une machine très bien élaborée, en l’occurrence le cerveau humain.

Mais il oublie que toute sa petite théorie, il n’y a réfléchi que grâce à un seul cerveau : le sien. Pourquoi le sien seulement et pas celui du voisin, a priori aussi bien conçu. Lui qui semble capable de tant de transcendance, pourquoi ne cherche-t-il pas à résoudre cette énigme : sa tête a quelque chose de vraiment original par rapport à celle de son collègue. Elle est la seule dont il ressent le fonctionnement. Ces atomes là doivent vraiment être particuliers.

Et pourtant, ils ne devraient pas. Ce n’est que de la matière, après tout (d’après les scientistes, précisons le). C'est-à-dire quelque chose de très basique. On ne sait pas vraiment quoi, mais en tout cas, c’est quelque chose de profondément, infiniment idiot. Quelque chose qui ne pense pas…

 

Peut-être que ce scientiste ne veut pas comprendre que l’hypothèse fondatrice de sa théorie est fausse. En fait, la matière ne précède pas l’esprit. De la même façon, notre conscience peut être autre chose que le produit d’un conditionnement. Il faut essayer de comprendre le monde d’une autre manière. La méthode rationnelle n’a rien de choquant, au contraire. Il faut avancer en respectant l’idée de la vérité.

Et ce faisant, nous comprenons que l’homme ne « naît » vraiment que lorsqu’il ne pervertit plus ses idées d’infini et d’absolu dans une quelconque parole aliénante. Il lui faut arrêter d’adorer la forme : comme les égyptiens idolâtraient des statures représentants des animaux, beaucoup de nos jours idolâtrent des discours affirmant « la perfection est ici ! » ou « la vérité a pris forme chez moi ». Aucune « forme » ne pourra atteindre l’absolu ; c’est bien pour ça que Spinoza les nommait « accident ». L’accident est souvent aléatoire, un peu comme notre représentation du monde, le plus souvent.

Publié dans Mon identité.

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T
J'approuve le commentaire de loïc<br /> :-)
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L
Deux remarques : <br /> <br /> - Ta vision du déterminisme me semble quelque peu dépassée. En effet, tu décris le nouveau-né comme une sorte de tabula rasa à l'heure où la science nous apprend que tout nouveau-né possède déjà une multitude de "pré-câblages" génétiques qui font qu'il n'a rien de la 'page blanche' chère à un certain modèle des sciences sociales. Je pourrais objecter à ton exemple d'enfants adoptés ressemblant à leurs parents adoptifs les nombreux cas de jumeaux séparés à la naissance et présentant, malgré d'énormes différences de milieu, des points communs extraordinaires, y compris en termes de personnalité (même si cela dérange quelque peu l'idéologie dominante du "tout social"). Enfin, oui, tu as raison, je n'ai pas choisi de naître, d'être un homme, d'être Français, d'avoir les parents qui sont les miens ou de vivre à cette époque. Cela, c'est le donné. Mais ma liberté, fondamentale, c'est ce que je vais répondre à ce donné. Pour reprendre Sartre : je ne suis pas une chose, mais un devenir. Je ne suis pas timide ou communiste comme cette table est en bois, la durée psychique m'empêchant toujours de me réduire à ce que je suis ; je suis précisément cette conscience qui n'est pas ce qu'elle est.<br /> <br /> - Tu commets une erreur logique (non sequitur) en faisant de la primauté phénoménologique de l'esprit (= je suis conscience d'emblée) la preuve de sa primauté ontologique (= l'esprit est à l'origine de la matière) et croyant ainsi démontrer indirectement l'existence nécessaire de 'Dieu', défini comme Esprit premier et cause de lui-même. Un kantien dirait que tu sacralises le pour-soi, en jetant aux oubliettes l'en-soi. En clair : si tout est représentation (pour-soi/esprit), alors d'où vient cette représentation ? Sortirait-elle du néant, par la magie d'une création ex nihilo ? Au final, pour arriver à 'Dieu', tu es contraint de recourir à un moment ou à un autre de ta démonstration à un tour de passe-passe conceptuel, comme un magicien qui ferait sortir un lapin de son chapeau sans l'avoir mis au préalable.<br /> <br /> A méditer... :-)
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