La parole aliénante.
Comment chacun se représente le monde ? En fonction de ses influences, de son éducation, de son caractère. Car il faut une représentation. Celle-ci vient naturellement. Les pensées se révèlent en grande partie par la parole, le discours. Comme il nest pas possible pour un être humain vivant de ne pas penser, il ne lui est pas possible de ne pas avoir de « représentation du monde ». Cette dernière peut être floue, mais elle existe. Elle conditionne la façon dont nous définissons notre identité : Combien de chances ai-je dêtre maoïste si je nais dans une famille pauvre et rurale de
Alors, comprenez vous ce que je veux dire par « lenvironnement conditionne notre représentation du monde » ?
Prenons un bébé, quelconque. Son caractère sera très différent, suivant léducation quon lui aura donnée. Jai souvent été frappé de voir à quel point les enfants adoptés pouvaient ressembler à leurs parents adoptifs. Ils ont été façonnés par eux. Pour peu que lenfant ressemble physiquement à ceux qui lont accueilli et que ces derniers ne lui disent pas la vérité, il pourra passer sa vie à vivre selon le même conditionnement (celui de sa famille) sans jamais être influencé par sa région ou sa famille dorigine. Il pourra être catholique intégriste, babacool, braqueur de banque
Cela ne dépendra que de son « conditionnement » (en loccurrence le hasard de ladoption), c'est-à-dire quelque chose quil naura a priori pas choisi. Ces propos sont bien sûr à nuancer. Ce nest pas exactement vrai. Mais néanmoins, cest en grande partie ce qui arrive. Où est alors la liberté de lindividu dans ce cas là ?
Alors, est-il possible de se défaire de cette influence ? Ne serait-ce pas ça la liberté : essayer de comprendre dans quelle mesure nos opinions ou nos comportements ne sont pas simplement des produits de notre éducation (ou dautres affects encore moins nobles) ? Spinoza a beaucoup écrit à ce propos. Selon lui, la recherche de la sagesse consistait précisément à tenter dacquérir la vraie liberté.
Il ne faut pas définir sa personne selon un discours aliéné. La représentation que lon a du monde nest pas « la bonne » a priori. Prétendre que la vérité se trouve de façon définitive dans le petit livre rouge,
Lopposition entre les différentes façons de voir les choses est la plus puissante source de guerres, dinjustices, de massacres. Lisez le récit du génocide juif ou arménien. Lhorreur de ces tueries est indescriptible. Si lhomme en arrive à ces extrémités, cest parce que sa volonté dabsolu est entièrement dirigée vers un objectif qui ne peut contenir labsolu.
Il est prêt à renoncer à tout ce qui fait de lui un homme pour défendre des idées (que ce soit le communisme, lintégrisme, un nationalisme quelconque
) quil place au dessus de tout. Il les considère comme parfaites, c'est-à-dire éternelles. Mais elles ne le sont pas. Souvent désemparé, ayant la volonté de trouver labsolu mais ne le voyant nulle part dans la nature, lhomme se fabrique une perfection. Il se trompe. Surtout quand il ne cherche pas plus loin que le bout de son conditionnement, toujours plus ou moins aléatoire (c'est-à-dire non maîtrisé). Des idées ridicules (surtout quelques années après) sont présentées comme étant LA solution. Les masses sont manipulées par des beaux parleurs aux motivations inavouables.
Si je suis français cest aléatoire. Si mes parents étaient communistes, catholiques ou musulmans, ce serait également aléatoire (la plupart du temps, on ne peut pas le nier). Mais par contre, le fait davoir conscience de soi ne lest pas. Si je dois chercher mon identité, cest ce chemin que je dois suivre. Pourquoi ai-je conscience de moi ? Comme disait Descartes, le monde actuel est peut-être entièrement fictif, manipulé par des démons qui me trompent sur la vraie réalité du monde sensible. Mais quoi quil arrive, on ne pourra jamais me faire douter que je pense. Car pour douter, jai besoin de pouvoir penser.
Et cest à lintérieur de cette Pensée dans laquelle je baigne jour et nuit, dans laquelle des idées vont et viennent, traversent mon esprit, que se trouve lidée de la perfection, de linfini, de léternité. Comment ne pas comprendre que linfini nest pas physique, nest pas dans la nature ?
Nous sommes des consciences. Et lorigine de cette conscience ne peut pas se trouver dans la matière (voir le petit paragraphe sur lesprit). La matière en elle-même nest rien. Elle nexiste que parce quon la conceptualise (cela ne veut bien sûr pas dire quelle est en notre pouvoir).
Quand le scientiste dans son petit labo se met au dessus du monde, au dessus de lunivers et affirme : « les atomes en sentrechoquant créent la conscience et arrivent à se penser eux-mêmes
fascinant !! », il considère quune seule condition est nécessaire : que les atomes soient rangés dans une machine très bien élaborée, en loccurrence le cerveau humain.
Mais il oublie que toute sa petite théorie, il ny a réfléchi que grâce à un seul cerveau : le sien. Pourquoi le sien seulement et pas celui du voisin, a priori aussi bien conçu. Lui qui semble capable de tant de transcendance, pourquoi ne cherche-t-il pas à résoudre cette énigme : sa tête a quelque chose de vraiment original par rapport à celle de son collègue. Elle est la seule dont il ressent le fonctionnement. Ces atomes là doivent vraiment être particuliers.
Et pourtant, ils ne devraient pas. Ce nest que de la matière, après tout (daprès les scientistes, précisons le). C'est-à-dire quelque chose de très basique. On ne sait pas vraiment quoi, mais en tout cas, cest quelque chose de profondément, infiniment idiot. Quelque chose qui ne pense pas
Peut-être que ce scientiste ne veut pas comprendre que lhypothèse fondatrice de sa théorie est fausse. En fait, la matière ne précède pas lesprit. De la même façon, notre conscience peut être autre chose que le produit dun conditionnement. Il faut essayer de comprendre le monde dune autre manière. La méthode rationnelle na rien de choquant, au contraire. Il faut avancer en respectant lidée de la vérité.
Et ce faisant, nous comprenons que lhomme ne « naît » vraiment que lorsquil ne pervertit plus ses idées dinfini et dabsolu dans une quelconque parole aliénante. Il lui faut arrêter dadorer la forme : comme les égyptiens idolâtraient des statures représentants des animaux, beaucoup de nos jours idolâtrent des discours affirmant « la perfection est ici ! » ou « la vérité a pris forme chez moi ». Aucune « forme » ne pourra atteindre labsolu ; cest bien pour ça que Spinoza les nommait « accident ». Laccident est souvent aléatoire, un peu comme notre représentation du monde, le plus souvent.